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L’Association francophone pour l’étude universitaire des courants ésotériques (FRÉSO) organisera les 12 et 13 mai 2023 sa première conférence internationale (FRÉSO23). Cette conférence, qui prévoit de réunir chercheurs spécialistes et non-spécialistes de l’étude des courants ésotériques, se donne pour thématique générale d’étudier les relations entre ces courants et les diverses disciplines scientifiques, dans le cadre d’une approche transdisciplinaire large. Au plan chronologique, les périodes moderne et contemporaine seront privilégiées, sans exclusive toutefois.
L’étude universitaire de l’ésotérisme, concept ici compris selon les principales approches académiques en cours (c’est-à-dire comme un ensemble de courants historiques, une forme de pensée particulière, ou encore un élément discursif), s’est d’abord développée comme un sous-champ de l’histoire des religions à la suite des travaux pionniers d’Antoine Faivre (1934-2021). En conséquence, malgré quelques travaux récents (Ferguson & Sera-Shriar, 2022), les acteurs, les idées et les pratiques recouverts par ce concept ont tendance aujourd’hui à être davantage considérés comme relevant des « marges religieuses » ou des « spiritualités alternatives », plutôt que par rapport à leurs relations avec le monde scientifique (qu’il s’agisse de biologie, de physique, de médecine, ou même de sciences humaines et sociales). Pour autant, comme Wouter J. Hanegraaff a pu le montrer dans son ouvrage Esotericism and the Academy (2012), si les courants historiques compris derrière l’étiquette de l’ésotérisme ont certes d’abord été considérés comme de « fausses religions », c’est ensuite comme « fausses sciences » qu’ils furent essentiellement rejetés durant la période des Lumières. Cela s’explique notamment par la perception de la religion elle-même comme un « savoir inauthentique », lié à un « objet de science » fallacieux en soi. Ce rejet, prononcé par une bonne part des élites scientifiques d’alors, a amené les historiens à négliger l’importance sociale et culturelle de ces courants, et cet oubli s’avère encore plus visible en ce qui concerne l’histoire des sciences, particulièrement pour l’époque contemporaine. Or, même durant cette période, les acteurs de l’ésotérisme se présentent avant tout comme des savants, désireux de démontrer la validité des savoirs antiques, la pertinence des sciences traditionnelles, ou la réalité de certains phénomènes dits « occultes ». Passant, notamment, par le biais d’un mouvement en faveur des « études psychiques », par l’application du calcul statistique à l’astrologie, mais aussi à travers la traduction de textes anciens ou orientaux, voire en appelant à prendre en compte les dimensions spirituelles et/ou cosmiques de la « vie », ces acteurs se sont emparés d’objets et de thématiques de recherche généralement dédaignés par les scientifiques de leur temps. Ils ont ainsi contribué à complexifier l’histoire de nombreuses sciences, que ce soit par l’introduction de représentations épistémiques particulières, par leurs interactions avec le monde savant et la sphère politique, ou encore par la diffusion concrète d’usages et de pratiques variés.
Ces remarques préliminaires permettent ainsi de dégager plusieurs axes de contribution, qui forment autant de cas d’application possibles, et dont les perspectives sont amenées à se croiser :
a) le statut des « savoirs secrets » et des « sciences occultes » (alchimie, astrologie, magie, kabbale)
La volonté d’étudier les aspects plus cachés du réel se manifeste à la Renaissance à travers des « savoirs secrets » comme l’alchimie, l’astrologie, la magie et la kabbale. Parmi d’autres, Heinrich Cornelius Agrippa von Nettesheim propose à travers sa « philosophie occulte » (1533) la convergence de ces différentes traditions « ésotériques ». Le concept englobant de « sciences occultes » est alors le plus souvent adopté par les partisans de ces disciplines, mais il se retrouve également employé avec commodité par leurs détracteurs pour invalider ce type de connaissances. Pour l’historien, un tel concept semble surtout masquer la diversité des phénomènes historiques qu’il recouvre (Hanegraaff, 2012), et son rapport à l’institutionnalisation croissante des savoirs scientifiques conduit à interroger la question controversée du « désenchantement » (Asprem, 2014 ; Josephson-Storm, 2017).
b) les représentations et les images des « sciences occultes » et de leurs acteurs dans les arts et en littérature
Les « sciences occultes » et leurs praticiens ont connu dans l’histoire des arts de multiples représentations, souvent davantage révélatrices du projet de l’artiste, ou des conceptions idéologiques d’une époque, que de la véritable nature de l’objet représenté. Les interactions entre arts, science et ésotérisme ont pu en outre être source de malentendus. Le Comte de Gabalis (1670), ou Zanoni (1842), ont ainsi été interprétés pendant plusieurs siècles non comme des romans mais comme des « sources » ou des traités ésotériques, aussi bien par des occultistes que par des artistes ou des littéraires. Ces différents acteurs, dont les statuts se confondent parfois, entretiennent d’ailleurs entre eux des proximités influentes qui demandent encore à être explorées (Wilson, 2013 ; Magus, 2021).
c) l’usage et la manipulation des sciences historiques
À la croisée de la littérature et des sciences historiques, les nombreuses relectures de l’histoire – que celle-ci soit interprétée comme « secrète » ou même « interdite » – se donnent pour but tant de contester le savoir officiel que de révéler le véritable sens de l’évolution historique. Si l’« occultisme nazi » et le « néo-évhémérisme » (théorie des anciens astronautes) peuvent servir d’exemples, ils illustrent aussi trois dimensions interdépendantes, à savoir le récit historique en lui-même, la pratique de l’historien et de l’archéologue, ainsi que la perception de ces deux aspects par le grand public (Partridge, 2006). En contrepoint, l’apport de certaines de ces démarches à la constitution du savoir académique peut également être interrogé dans le but de montrer la frontière parfois ténue entre milieux ésotériques et académiques (Mühlematter & Zander, 2021).
d) les interactions entre ésotérisme et psychologie
Les plus éminents représentants de la nouvelle science psychologique, à l’instar de Jean-Martin Charcot, Sigmund Freud ou Pierre Janet, se distinguent par leur intérêt pour l’étude des phénomènes de somnambulisme, d’hypnose, ou même de télépathie. La psychologie analytique de Carl Gustav Jung établit quant à elle une connexion encore plus franche avec « l’ésotérisme ». Cette proximité n’est pas sans soulever d’intenses controverses, tant au sein des courants ésotériques que parmi les professionnels et les amateurs de cette « science problématique » qu’est la psychologie, constituée dès son origine par des acteurs aux profils variés se disputant un champ disciplinaire contesté (Guillemain, Serina & Trochu, 2019).
e) l’usage des sciences naturelles par les courants ésotériques dans le domaine de la santé
L’histoire de la santé, comprise au sens large, bénéficie elle aussi d’un regard porté sur les marges médicales, religieuses et scientifiques (Faure, 2015). Les courants ésotériques, en tant qu’ensemble d’acteurs producteurs de discours, participent à orienter les représentations vulgarisées de nombreuses connaissances scientifiques dans le domaine de la biologie et de la physique. Or, les visions du monde et des phénomènes vitaux se retrouvent généralement dans la pratique professionnelle des médecins qui les embrassent, et les « sciences occultes » trouvent de ce fait, dans le domaine de la santé « holistique » ou « alternative », un lieu d’expression privilégié ; ce qui n’est pas sans soulever certaines controverses.
f) les sciences de l’éducation au regard de l’ésotérisme
Les représentations développées au sein des courants ésotériques se rencontrent également dans le domaine de l’éducation. La pédagogie Waldorf-Steiner offre sans doute l’exemple le plus évident de cette influence encore actuelle avec « la résurgence du vitalisme en éducation » et la place occupée par les pédagogies dites « alternatives » (Kolly, 2022). L’impact théorique et pratique des courants ésotériques, rarement étudié par les sciences de l’éducation (Wagnon, 2017), se retrouve en outre dans la pédagogie spirituelle par la danse et les mouvements corporels (G. Gurdjieff, E. Jacques-Dalcroze, P. Deunov, R. von Laban, etc.), fort à la mode dans la première moitié du XXe siècle.
g) sciences et ésotérisme au-delà de l’Europe
La majorité des travaux universitaires sur « l’ésotérisme occidental » s’est jusqu’à présent limitée à un contexte européen. L’analyse récente des « sciences occultes » islamiques (Coulon, 2021), des théosophes indiens (Mukhopadhyay, 2021 ; Myers, 2022) ou de l’Amérique coloniale (Villalba, 2020) a cependant contribué à donner de l’histoire des courants ésotériques une image moins asymétrique. Cet axe invite donc à problématiser la relation entre production scientifique et discours ésotériques dans différents contextes historiques interconnectés à partir de la « première globalisation » initiée au XVIe siècle (Gruzinski, 2004).
Ces propositions de contributions sont à prendre comme de simples suggestions, non exhaustives de surcroît. La thématique retenue se prête à des approches variées, et les participants sont invités à explorer ces nombreuses possibilités selon leurs propres champs d’étude et centres d’intérêt, éventuellement en dehors des axes suggérés. Nous leur demandons de bien vouloir nous faire parvenir un résumé de leur présentation (300 mots), ainsi qu’un court CV, avant le 15 octobre 2022. Ces documents sont à adresser par courriel à l’adresse suivante : freso.esswe@gmail.com. Le comité scientifique sélectionnera les propositions avant le 31 décembre 2022 et supervisera la publication des actes. La langue de la conférence est le français, mais un nombre réduit de communications en anglais pourront être acceptées.
Le Comité scientifique
Jean-Pierre Brach (EPHE)
Flavia Buzzetta (Hamburg)
Hervé Guillemain (Le Mans)
Sylvain Ledda (Rouen Normandie)
Anne Rasmussen (EHESS)
Le Comité d’organisation
Tamara Alvarado Henriquez (Paris III)
Léo Bernard (IFRIS)
Tom Fischer (EPHE)
Nathan Fraikin (EPHE)
Damien Karbovnik (Strasbourg)
Piero Latino (Sorbonne Université/ Westminster)
Agnès Parmentier (USQV)
Mariano Villalba (EPHE/ Lausanne)
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